P. P. Rubens : le panneau central

Publié le par Catherine Beaucourt

A PROPOS  DE " L'ELEVATION DE LA CROIX " DE P. P. RUBENS

LE PANNEAU CENTRAL


    Rubens connaissait la xylographie du frère Nadal, les commanditaires également. Jérôme Nadal (Gerónimo Nadàl en espagnol), né en 1507 et mort en 1580, fut l'un des premiers membres de la Compagnie de Jésus. Il fut l'un des plus proches collaborateurs d'Ignace de Loyola. A son instigation, il entreprit de faire réaliser un recueil de gravures Evangelicae Historiae Imagines pour apprendre aux novices jésuites la méditation. Ce recueil (153 gravures au total) a été publié à Anvers en 1594, soit près de 15 ans après sa mort par la maison Plantin-Moretus. C'est le recueil le plus ancien de ce type qui nous soit parvenu.


    Ils tombèrent d’accord sur le choix de « l’Élévation de la Croix ». Le peintre avait déjà eu cette idée de représentation quelques années auparavant, en Italie.

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Homme se tenant au pied de la Croix, (vers 1601).

         Il avait vu un tableau de Tintoret, « Crucifixion » de 1505, qui l’avait beaucoup impressionné, ainsi que des œuvres de Guedo Reni et de Caravage.


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La Crucifixion de Saint Pierre, Caravage, (1600-1601)

    Pour que le retable donne tout son effet dans la longue perspective gothique de l’église Sainte-Walburge, Rubens utilisa des contrastes très forts de lumière, s’inspirant de Tintoret et surtout de Caravage. Les coloris sont chaudement vénitiens et l’harmonie des pourpres et des bruns est éloignée des reflets froids propres à la lumière des Flandres.

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    Le corps du Christ a une noblesse « classique », les bras levés, la tête redressée. C’est l’héroïsme et le sacrifice qui émanent de la représentation. L’accent semble mis sur la victoire et non sur le supplice de la croix. Le Christ domine les corps harassés de ses tortionnaires qui sont de dos.
 
 
         Rubens représente le sacrifice de l’Homme qui montre Sa Figure à l’humanité : « C’est principalement le visage humain qui sert à l’expression du spirituel. » (Hegel).

    Rapidement, notre attention se déplace vers les hommes de dos qui agissent. Ils ne montrent pas leur visage car ils sont plongés dans une action qui les absorbe. Leur regard échappe au notre. Ils ne se laissent pas perturber. Sans regard, on ne peut instaurer de dialogue, ils sont sans désir de communication et ils n’ont pas le temps d’avoir des états d’âme. Ils ont perdu leur identité.

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    Les corps croulent sous l’effort. Ce sont des solitudes qui travaillent et dont l’identité s’estompe au profit de l’appartenance à un groupe : « Les Tortionnaires ».


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    S’ils n’ont pas de noms propres, ils sont absorbés par une action collective. Une motivation profonde relie le groupe et en entretient la fièvre.
    Hors norme, exceptionnel, unique, l’évènement cimente le groupe, le temps de sa durée. Les corps font un rempart au spectateur impuissant. L’action se ferme à l’intérieur de l’œuvre.
 


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Rubens a capté le mouvement accéléré, le rythme de l’effort surhumain.

    La scène subit une onde de choc. Rubens contrarie la stabilité par la torsion des corps qui semblent vriller sur eux-mêmes : dissymétrie des épaules, fracture des cous, corps déséquilibrés qui attestent par leur souplesse d’un bon état physique.        Ils ne sont pas raidis par le pouvoir !
    Ce sont des hommes des origines sans souci de représentation sociale, issus d’une humanité qui s’accommode de ses faiblesses.
    Le Theatrum Mundi est sans instant de repos. Il est baroque dans sa théâtralité dramatique.

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    Les modèles de Rubens sont sans doute très proches des marins qui déchargeaient les kraeks sur le port d’Anvers… ou qui hissaient les voiles des navires. Son inspiration vient aussi de Michel Ange « Le jour », (San Lorenzo – Florence).


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Francis Bacon, triptyque (détail).


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Malgré les différences de cadrage entre les trois panneaux, on a une sensation d’unité.

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Les cinq dernières photos représentent des travaux préparatoires sur papier.

    Des esquisses à l’huile, très abouties, sont présentées comme un tout au Louvre. Très influencé par la Crucifixion de 1565 de Tintoret, Rubens peint la Croix à demi soulevée.
    On peut noter des différences, un personnage à genoux en raccourci sur l’œuvre définitive, le nombre de personnages, par exemple.
    Les « bourreaux » de Paris sont sur terre alors que ceux d’Anvers sont installés en pyramide, ainsi Rubens a-t-il pu placer la Croix plus haut et mettre le Christ davantage en valeur.

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Sur l’esquisse préparatoire, on voit un paysage qui n’existe plus sur l’œuvre finale.

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L’arrière plan est constitué de feuillages frémissants qui créent l’illusion de mouvement et amplifient l’impression d’instabilité.

    Les dimensions exceptionnelles, le sujet, les anges drapés qui semblent s’envoler, font du retable une réalisation plus neuve.
 
Même s’il s’agit d’une œuvre traditionnelle dans sa conception typiquement flamande, à laquelle Rubens n’a pas eu grand-chose à dire, le peintre a dans la conception de la surface picturale innové et fait ses premières expériences baroques pleines de fougue et d’énergie.
 
   Pour bien saisir la vitalité Rubenienne, je pense qu’il faut lire les pages de « l’Histoire de l’Art » qu’Elie Faure consacre à l’énergie créatrice du peintre. Elles sont désuètes diront certains, pas mal du tout diront d’autres, comme la description de la cathédrale d’Anvers par Théophile Gautier.

Publié dans Rubens

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S
quel réalisme  ces dessins des corps musclés  et des  visages  défaits par l'effort
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